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Fournir de l'énergie : de la sécurité d'approvisionnement à la souveraineté énergétique

L’avènement du confort individuel a fait oublier à quel point, pendant des siècles, les besoins privés n’étaient pas une priorité et faisaient l’objet de peu d’innovations. Lorsque la caminologie – ou science des cheminées – connaît une révolution technique dans les années 1750 grâce au foyer surélevé et rétréci, le rendement énergétique des cheminées double pour atteindre péniblement 15 %. L’industrie, les arsenaux et les forges en particulier, était prioritaire, et le froid, une expérience commune, même pour les plus aisés. Encore très présente après 1945 et pendant la guerre froide, par exemple avec le programme électronucléaire français, la souveraineté énergétique cesse d’être primordiale dans les années 1980, lorsque le recours aux ressources de pays amis et la diversification géographique des sources d’approvisionnement assurent la solidité du marché mondial. L’écologie de guerre provoquée par le conflit en Ukraine a remis sur la table des questions qui avaient été oubliées pendant un demi-siècle et qui n’ont aucune chance de disparaître, même si la croissance des besoins mondiaux entre en contradiction avec les impératifs du changement climatique.

Grégory Quenet

Avec la première révolution industrielle, le développement de nos sociétés modernes s’est opéré grâce à l’accès au charbon, une énergie plus abondante et moins coûteuse que celles jusqu’ici disponibles – tirées de l’eau, du bois, des chevaux... Cette bascule dans un monde radicalement nouveau s’est d’abord produite pour répondre à des difficultés d’approvisionnement : c’est la crise du bois, à l’heure de la croissance démographique et de l’augmentation des besoins, qui a accéléré le recours au « charbon de terre », autrement dit le charbon fossile. L’historien Fernand Braudel raconte dans L’Identité de la France1 : « Nos forêts, cependant abondantes, ne résistent pas à une exploitation poussée : le bois sert à la fois au chauffage des maisons, à la cuisine, et, sous forme de charbon, à la fabrication de la fonte, du fer et de l’acier. Il est aussi le matériau indispensable aux sabotiers, à la boissellerie, à la construction des voitures, des charrues, des maisons, et non moins des bateaux et des navires. Les hauts-fourneaux, les forges et les fonderies ne sont pas les seules “usines à feu” – il faut leur ajouter les verreries, les brasseries, les fours à chaux... » D’ailleurs, pour l’historien, si l’Angleterre « utilise tôt, ne serait-ce que pour le chauffage de Londres, le charbon de pierre, et si elle se révèle pionnière pour l’utilisation de la fonte au coke, c’est en partie parce qu’elle y est obligée par l’exhaustion de ses ressources forestières ». L’abaissement du coût du charbon n’intervient que dans un second temps – et il emporte alors la mise face au bois, avant d’être rejoint par le pétrole et le gaz. Mais gardons de ce moment originel l’essentiel: c’est le besoin qui, encore une fois, avant la technologie ou même le coût, fait la première force de loi.

À l’ère même de l’abondance, l’importance de sécuriser ses approvisionnements ne va ainsi pas disparaître: elle va au contraire s’affirmer en réponse à des besoins considérés comme toujours plus essentiels et dont la vie des sociétés va se trouver de plus en plus dépendante. L’attention qui y est portée est d’autant plus claire dans les pays moins bien dotés en ressources fossiles, comme la France, importatrice de charbon et plus tard de gaz et de pétrole. Ou comme les pays d’Europe de l’Est, dont la dépendance énergétique aux pays producteurs de pétrole ou de gaz reste aujourd’hui encore très forte.

Avant d’appréhender au sens strict les économies d’énergie, ou de se préoccuper de la décarbonation du mix énergétique pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, c’est d’abord la nécessité de s’assurer de sa sécurité d’approvisionnement en énergie et d’une continuité de service qui a été au centre des préoccupations des usagers. Des préoccupations au contact desquelles se sont forgées les premières expertises de Veolia.

Chauffer les bâtiments et les populations : un enjeu du confort moderne

Aujourd’hui, ceux que l’on appelle les « contrats de performance énergétique» sont bien connus – à défaut d’être toujours adoptés. Ils ont pour but d’ « améliorer la performance énergétique d’un bâtiment grâce à des investissements dans des travaux, des fournitures ou des services ». Ce type de contrat est donc passé entre une entreprise, ou une collectivité, et une société de service énergétique. Le prestataire du service s’engage sur des objectifs précis de consommation d’énergie qui sont mesurés et contrôlés dans la durée. En réalité, ces contrats ne sont pas si nouveaux. En 1935, Léon Dewailly crée Chauffage Service, une entreprise spécialisée dans l’exploitation des installations de chauffage et de climatisation. Deux ans plus tard, la veille de Noël, Léon Dewailly reçoit l’appel du patron de l’hôpital de Villiers-Saint-Denis dans l’Aisne.

La chaufferie au charbon ne fonctionne plus, et le froid envahit l’établissement. « Les équipes sur place n’arrivaient pas à réparer, raconte Patrick Hasbroucq, directeur des unités industrielles dans les Hauts-de-France, alors Léon a pris sa voiture pour dépanner l’hôpital. Très satisfait du dépannage, le directeur lui a demandé dans la foulée d’assurer la conduite et l’entretien de ses équipements via un contrat garantissant une température définie. » Il s’agit donc du premier contrat de performance énergétique jamais signé ! Un contrat de chauffage qui fera référence par la suite, de type « P1, P2, P3», c’est-à-dire qui recouvre la fourniture de l’énergie, la conduite et l’entretien des installations, ainsi que le renouvellement du matériel. Sécurité d'approvisionnement et continuité de service, au cœur de la promesse de cette nouvelle entreprise dans l’air du temps.

Léon Dewailly va faire fructifier son affaire, qui devient la Compagnie Générale de Chauffe (CGC), après la Seconde Guerre mondiale. Visionnaire, l’entrepreneur innove et s’appuie sur de nouveaux contrats multiservices qu’il propose à certains clients, comme des bases de l’OTAN, par exemple. Mais c’est l’essor des constructions de logements collectifs en France durant les Trente Glorieuses qui va lui permettre de développer son activité. À cette époque, le chauffage s’impose comme une nouvelle condition nécessaire au confort d’une habitation, alors qu’autrefois on se contentait souvent d’un poêle à charbon dans la pièce de vie.

© Kwon Junho


À partir du rude hiver 1954, le combat de l’abbé Pierre contre les logements insalubres fait du chauffage domestique une question sociale d’envergure. S’il n’est pas chauffé, alors un logement est insalubre. L’usage calorifique du gaz devient prédominant : chauffe-eau, chauffe-bain, cuisinière, radiateurs, soutiennent la consommation de gaz dans les foyers. Une croissance qui reste sur sa lancée de l’entre-deux-guerres mais qui prend de l’ampleur, alors que l’électricité pâtit encore de tarifs élevés et du manque d’infrastructures adéquates. Comme l’écrit l’universitaire Jean-Pierre Williot, « loin d’abdiquer devant la concurrence électrique, l’industrie gazière prétendait se placer à la tête d’un mouvement de promotion du confort ménager » 2. En 1946, 76 % de la consommation de gaz est due aux usages domestiques, devant les usages commerciaux et industriels (8,7 %).

Même si 60 % des logements français n’ont toujours pas de chauffage collectif à l’orée des années 1960, certaines grandes villes disposent déjà de réseaux de chauffage urbain avant la Seconde Guerre mondiale (Paris en 1927, suivie par Chambéry, Villeurbanne, Grenoble et Strasbourg)3. Il faut en réalité attendre les Trente Glorieuses pour que les choses bougent, dans le neuf tout d’abord. En effet, la construction des nouvelles zones d’habitation s'accompagne souvent de l’installation d’un réseau de chauffage urbain, généralement alimenté par une centrale fonctionnant au fioul ou au charbon. Pour répondre à cette demande, Chauffage Service se transforme en 1960 : elle devient la Compagnie Générale de Chauffe (CGC) et s’appuie sur son expertise pour développer des réseaux de chaleur et des activités de performance énergétique via des contrats de délégation de service public. Sa devise : « Économiser le combustible ».

Léon Dewailly, l'ingénieur chauffagiste

Léon Dewailly naît à Lille en 1895. Cet ingénieur de formation devient exploitant de chauffage et fonde sa propre société Chauffage Service, qui invente le principe du contrat de performance énergétique : à partir de 1937, Léon Dewailly signe avec l’hôpital de Villiers-Saint-Denis le premier contrat de performance énergétique de l’histoire ! Un contrat de chauffage « P1, P2, P3 », qui recouvre la fourniture de l’énergie, l’entretien et la maintenance des installations, ainsi que le renouvellement du matériel. Sécurité d’approvisionnement et continuité de service sont au cœur de la promesse de cette nouvelle entreprise dans l’air du temps.

Mais ce n’est que dix ans plus tard que l’ingénieur fonde la Compagnie Générale de Chauffe (CGC), en 1944, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’entreprise connaît une ascension fulgurante grâce à son contrat multiservice offert aux bases américaines de l’OTAN mais également grâce à l’habitat collectif qui se développe fortement pendant les Trente Glorieuses, et avec lui le chauffage urbain.

Léon Dewailly regarde aussi vers l’international et déploie dès 1963 la Compagnie Générale de Chauffe Belge, puis il traverse la Manche en 1966 en s’associant au National Coal Board pour fonder Associated Heat Services en Grande-Bretagne. L’entreprise prend un tournant décisif l’année suivante, quand elle fait entrer dans son capital à hauteur de 40 % la Compagnie Générale des Eaux. C’est à l’âge de 86 ans, en 1981, que Léon Dewailly quitte ses fonctions. Dix ans après sa mort, en 1998, la CGC devient Dalkia, qui conserve alors les fondamentaux hérités de son illustre ancêtre.

© Mikhail Nilov

Une diversification des sources de chauffage, accélérée par les crises pétrolières

Dès les années 1960, les tout premiers incinérateurs capables d’alimenter des réseaux de chaleur à partir de la combustion des déchets sont construits, préfigurant leur transformation en « unités de valorisation énergétique» (UVE) dans les années 1980 et 1990. Techniquement, certains incinérateurs savaient déjà récupérer de l’énergie depuis longtemps : en 1907, l’usine d’Issy-les-Moulineaux produisait de l’électricité grâce à un turboalternateur, et l’incinérateur de Tours, construit par la Société d’entreprises pour l’industrie et l’agriculture (SEPIA) dans les années 1920, produisait à la fois de l’électricité et des briques fabriquées avec les mâchefers. Inaugurée en 1968, l’usine de Villejean permet de franchir un nouveau pas en produisant de l’électricité mais aussi en chauffant une partie de la métropole de Rennes : c’est la première du genre !

La Société bretonne d’exploitation de chauffage (SOBREC) est créée en décembre 1964 pour les besoins de l’exploitation du réseau de chaleur urbain de Rennes Nord. Il s’agit d’une filiale de la Compagnie Générale de Chauffe, elle-même détenue à 40% par la Compagnie Générale des Eaux à partir de 1967. Développant la gamme de services qu’elle peut rendre aux territoires, la Compagnie Générale des Eaux intègre totalement la CGC dans son groupe en 1980. Elle avait d’ailleurs développé depuis ses propres bases des activités dans l’énergie. Ainsi, en Rhône-Alpes, des équipes entreprenantes avaient constitué en 1963 la société ECHM – pour Eau et Chaleur de Haute-Montagne afin d’accompagner les stations de ski alpines naissantes dans leurs besoins d’approvisionnement en eau et en énergie.

En effet, « les compétences nécessaires pour entretenir les réseaux d’eau et de chaleur, voire les chaufferies, se révélaient similaires, a fortiori pour prendre en compte les spécificités liées au climat montagnard, du déneigement pour accéder aux réseaux à la maîtrise des grandes variations de température », relate Bruno Godfroy, directeur général adjoint de l’activité Eau France. Quelques années plus tard, en 1979 – juste avant l’intégration complète à la CGE –, la Compagnie Générale de Chauffe produit un bilan détaillé de son activité qui démontre à quel point l’entreprise s’est développée à la faveur des chocs pétroliers pour répondre aux crises énergétiques : chaleur géothermique, combustibles de substitution, chaleur des incinérateurs, installation de pompes à chaleur, panneaux photovoltaïques... La CGC déploie alors ses solutions partout en France et à l’étranger, en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, aux États-Unis, et même dans des hôpitaux en Arabie saoudite. Elle envisage également de développer de l’énergie à partir des rejets des centrales thermiques et des panneaux photovoltaïques, qui lui servent déjà à produire de l’eau chaude sanitaire pour un village de vacances en Martinique. Grâce à un système de télésurveillance qu’elle a inventé, précurseur encore rudimentaire des centres Hubgrade que Veolia développera par la suite, ses agents peuvent piloter à distance la température, la consommation et les potentielles alarmes sur les réseaux équipés, comme à Rennes, à Rungis ou à Lille.

Approvisionnement en charbon.
© Archives Veolia


Avec ou sans combustible fourni, les marchés signés en 1979 représentent 46 300 kilowatts pour la production de chaleur et 11100 kilowatts pour le froid, chez des particuliers, mais également pour des hôpitaux, l’administration des Postes et Télécommunications, et des centres hôteliers. Alors que la CGC gère 16 usines de traitement des ordures ménagères depuis les années 1960, elle lance en 1969 sa première installation de géothermie dans la ZUP de l’Almont à Melun, qui doit alimenter en eau chaude sanitaire pas loin de 3 000 habitants. Suivront aussi la base aérienne de Mont-de- Marsan, 826 logements ainsi qu’un centre commercial, une caserne de gendarmerie, une école maternelle et une crèche à Blagnac. Sous l’effet des crises pétrolières, les réseaux de chaleur s’éloignent un peu plus du fioul durant les années 1980, pour se tourner massivement vers le gaz naturel ou l’énergie de récupération des déchets.

Dans les années 1980 et 1990, les usines d’incinération s’orientent en effet davantage vers la production d’énergie. « Avant, c’était une activité quasiment uniquement de destruction des déchets par l’incinération, témoigne Patrick Hasbroucq, mais depuis les années 1980, la partie incinération ne représente qu’une toute petite part des installations, à côté de la production d’énergie sous forme de chaleur et/ ou d’électricité, mais aussi du traitement des fumées. Les engagements se font sur la performance environnementale et énergétique des usines. » Cependant, il reste encore une marge de progression considérable en la matière.

En France, les réseaux de chaleur ne sont aujourd’hui alimentés par des énergies renouvelables et de récupération de chaleur qu’à hauteur de 62 %. En 2021, un rapport de la Cour des comptes rappelle l’importance des opérateurs privés dans cette activité et le bénéfice que peuvent en tirer les particuliers : « En raison du poids des investissements nécessaires pour la création d’un réseau de chaleur, la majorité des réseaux de chaleur publics (80%) sont exploités sous la forme d’une délégation de service public. Les réseaux de chaleur et de froid alimentés pour plus de 50 % par des énergies renouvelables permettent à leurs usagers de bénéficier d’un taux réduit de TVA (5,5 %) sur la part de leur facture liée à la fourniture d’énergie. » Des incitations fortes pour développer encore et verdir ces réseaux.

© Archives Veolia

La performance, un héritage français… et italien 

En 1998, la Compagnie Générale des Eaux est rebaptisée Vivendi. Elle crée alors une filiale regroupant les entreprises spécialisées dans les services énergétiques qui prend le nom de Dalkia. Cette nouvelle entité comprend la Compagnie Générale de Chauffe ainsi que d’autres entreprises rachetées par la CGE au fil des années. Esys-Montenay rejoint l’aventure, elle-même étant le rapprochement de Montenay, une société créée en 1860 qui rassemble à l’époque des activités de chauffage traditionnel, de réseaux de chaleur, de négoce en combustible et de climatisation, et d’Esys, une holding créée par Elf en 1986 qui réunit d’anciennes sociétés de négoce charbonnier. Leader européen de l’efficacité énergétique et environnementale, Dalkia signe en l’an 2000 un accord avec EDF, qui entre à 34% dans son capital et l’enrichit de ses propres filiales de services énergétiques – un rapprochement qui prendra fin en 2014, quand EDF gardera la marque et les activités françaises, et Veolia, les activités internationales. C’est dans cette entreprise que la culture du contrat de performance énergétique va prendre une importance encore accrue, dans la lignée historique de la Compagnie Générale de Chauffe et de celle d’une entreprise italienne créée à Milan en 1927 et qui rejoint Dalkia en 2002 : la Siram (Società Italiana Riscaldamento Appalti Milano). Elle a fondé sa réputation sur la performance énergétique et la sécurisation des approvisionnements, en gérant pendant des décennies l’exploitation de chaufferies pour des particuliers, des entreprises et des institutions, mais aussi en leur vendant du bois, du charbon et du fioul. Son premier contrat historique est passé avec la ville de Venise en 1927 : à l’heure où la Compagnie Générale des Eaux – proximité ancienne ! – opère le service de l’eau à Venise, elle approvisionne des bateaux qui apportent, via les canaux vénitiens, du bois et du charbon pour les chaudières des écoles, des musées et des bureaux. Au fil des ans, l’entreprise va se spécialiser dans la performance énergétique, la conception des bâtiments et la maintenance des systèmes techniques, thermiques et électriques.

 M. GAMELIN Hubert, Chauffeur-livreur.
© Archives Veolia

Autant d’atouts qui lui permettent de sécuriser l’approvisionnement énergétique d’institutions cruciales tel l’hôpital de Parme, avec lequel la collaboration dure depuis 1951. Un exemple de son savoir-faire. À cette date, la Siram ne gérait dans cet établissement que de simples chaufferies au fioul, mais elle passera à une grande chaudière dans les années 1970, puis elle installera une centrale distribuant de la vapeur dans les années 1980, avant de basculer vers le gaz naturel, moins polluant que le fioul, dans les années 2010 grâce à une centrale thermique souterraine dite « trigénération ». Un type de technologie à la pointe du génie climatique, permettant de produire de l’énergie thermique à haute température pour l’eau chaude sanitaire et le chauffage, de l’énergie thermique à basse température pour la climatisation ou la réfrigération, et enfin de l’énergie mécanique capable de générer de l’électricité. Aujourd’hui, fort de ses 1 137 lits, 31 chambres d’opérations et 3 700 employés, l’hôpital produit 47 % de ses besoins en électricité, et 100 % de ses besoins thermiques. À tout cela, il faut ajouter une baisse de l'empreinte carbone du bâtiment, qui émet 3825 tonnes de CO2 en moins chaque année depuis les travaux de rénovation entrepris par la Siram.

En 2020, la crise du Covid a mis en lumière l’importance de sécuriser l'approvisionnement énergétique de bâtiments stratégiques tels que les hôpitaux. En Italie, dans les régions les plus durement touchées, le groupe Veolia a fait face à cette urgence en maintenant la continuité des services essentiels coûte que coûte, tout en protégeant son personnel des risques. Sur plus de 3 000 collaborateurs Siram Veolia, la moitié a été mobilisée sur le terrain à Bergame, Gênes, Parme, Bari ou encore Venise, pour faire fonctionner 700 installations sanitaires, soit plus de 40000 lits d’hôpital, voire pour alimenter dans l’urgence de nouveaux départements de soins intensifs improvisés. Pendant ces longs mois compliqués, le personnel a sécurisé les services essentiels au maintien des hôpitaux, que ce soient la gestion et la maintenance des systèmes technologiques pour la production et la distribution d’énergie, le pilotage des systèmes de traitement de l’air, le contrôle de la qualité de l’eau ou encore l’élimination des déchets hospitaliers spéciaux.

L’outil de smart monitoring développé par Veolia et baptisé Hubgrade a montré un intérêt supplémentaire pendant cette période, puisqu’il a permis aux agents de surveiller en permanence, à distance, les installations. « Hubgrade a été développé pour améliorer la performance énergétique des sites, en utilisant nos capacités d'analyse numériques pour augmenter l’impact des actions des équipes qui exploitent les installations. Cette double implication, à la fois opérationnelle locale, et à distance, c’est l’ADN du groupe, et aide aussi à répondre au premier enjeu, qui est la sécurisation de l’approvisionnement en énergie », d’après Francisco Silvério Marques, directeur de l’activité Services énergétiques aux bâtiments chez Veolia.

En Europe centrale et orientale, des expertises développées pour faire face au défi de la souveraineté énergétique

Mettons le cap à l’est, à quelque 800 kilomètres de l’Italie, vers l’Europe centrale et orientale. Depuis la chute du mur de Berlin, les anciens pays du bloc de l’Est se sont progressivement ouverts à l’économie de marché. Ceux que l’on appelle aujourd’hui les pays d’Europe centrale et orientale (PECO : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République Tchèque) ont notamment eu à modifier en profondeur leur appréhension du service public. En effet, il a fallu, au fil des années 1990, acculturer les populations au fait que des services jusqu’alors gratuits devenaient payants pour gagner en efficacité et en fiabilité.

Parmi ces services, la fourniture d’énergie. Un autre défi colossal attend, en cette fin de XXe siècle, les jeunes démocraties d’Europe de l’Est : comment assurer sa souveraineté énergétique alors que tout, ou presque, est à faire ? Si les stratégies et les politiques publiques varient, une constante apparaît néanmoins : chaque État va s’appuyer sur des entreprises, locales ou étrangères, pour poser les jalons de cette indépendance rêvée et lancer sa candidature pour l'intégration à l’Union européenne.

Dès cette époque, Veolia va accompagner ces pays à sortir de leur dépendance au charbon et au gaz russes et contribuer à leur meilleure autonomie énergétique. En 2022, le groupe approvisionne 12 millions d’habitants en énergie dans la région : Veolia a su gagner la confiance de nombreux pays grâce à sa légitimité industrielle de producteur et de distributeur d’énergie. Mais pas seulement : « On vient chercher des solutions qui s’inscrivent dans le temps long. Nos valeurs : le social, l’hygiène, la sécurité et la transparence », précise Philippe Guitard, directeur Europe centrale et orientale de Veolia. Une confiance qui paie puisque, à titre d’exemple, le chiffre d’affaires de Veolia en République tchèque atteint 1,5 milliard d’euros en 2022, alors que l’entreprise n’était pas encore installée dans le pays en 1997.

La centrale de cogénération de Pécs en Hongrie produit de la chaleur et de l’énergie à partir de bois et de paille.
© Médiathèque Veolia - Stéphane Lavoué

Les réseaux de chaleur urbains sont la première activité sur laquelle Veolia se positionne pour s’investir durablement dans les PECO. À Varsovie, Poznan et Lodz en Pologne, à Bratislava en Slovaquie, à Budapest et Pécs en Hongrie, à Prague et Ostrava en République tchèque, Veolia exploite et modernise les centrales thermiques. « Dans ces pays, environ 90 % des villes moyennes et grandes sont chauffées par des réseaux de chaleur collectifs en raison des hivers rigoureux. Les enjeux actuels consistent à sécuriser l’approvisionnement en chaleur, et à réduire l’empreinte carbone des centrales », précise Renaud Capris, PDG d’Enova, ancien directeur des opérations en République tchèque, et ancien directeur pays Bulgarie et Hongrie.

Au fil du temps, les performances environnementales des unités de production de chaleur ont été améliorées, car les normes des années 1990 n’étaient pas assez strictes. L’entrée dans l’Union européenne des PECO au début des années 2000 les a contraints à adopter les mêmes règles que les autres pays. Cette mise en conformité a nécessité d’importants travaux. « Il existe une volonté proactive de faire sortir progressivement ces centrales du charbon. La ville de Pécs en Hongrie, qui a une population d’environ 200000 habitants, a réussi à se convertir entièrement à la biomasse pour son réseau de chauffage urbain, éliminant ainsi complètement le charbon et le gaz. La paille est collectée auprès des agriculteurs locaux, tout comme les résidus de bois », explique Renaud Capris. Les PECO sont, pour la plupart, en phase de conversion vers des solutions plus propres comme le biogaz et la biomasse dans le but de se détourner du charbon. « L’objectif est de pouvoir proposer des alternatives à un coût raisonnable pour les consommateurs », ajoute Renaud Capris.

Veolia est ainsi présente depuis plus de vingt ans dans cette région du monde où la question énergétique occupe une place essentielle dans les équilibres politiques et économiques. Et ce d’autant plus depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Parmi les conséquences de l’invasion russe: la prise de conscience accrue dans l’opinion publique de l’importante dépendance vis-à-vis de la Russie pour l’approvisionnement en énergie, notamment en gaz. La question de l’autonomie énergétique n’est plus seulement un objectif ambitieux : c’est aujourd’hui un enjeu de sécurité régionale. De fait, l’accès sécurisé à une énergie locale a été au cœur des évolutions réglementaires européennes depuis lors, énergie produite et distribuée au travers des moyens les plus efficaces, et ce afin de préserver nos ressources. En tant que partenaire des collectivités, Veolia conçoit et développe des solutions adaptées et permet à ses clients de progressivement s’affranchir des incertitudes liées aux fortes fluctuations des prix de marché.

L’histoire de l’énergie rejoint ici encore celle, agitée, d’une région au cœur d’enjeux géostratégiques importants. « Bien que des réserves de pétrole, de gaz et de combustible nucléaire subsistent, leur déclin brutal et la recherche d’alternatives ont conduit à un changement de paradigme : le déploiement de technologies à faible émission de carbone et l’efficacité énergétique sont désormais des questions de sécurité nationale et économique», écrit la chercheuse Diana-Paula Gherasim sur le site de l’Ifri (Institut français des relations internationales). Et d’ajouter : « Le risque de voir s’ériger un mur du carbone en Europe entre l’Ouest et les États membres d’Europe centrale et orientale n’est plus d’actualité. »

Les enjeux de souveraineté énergétique, de décarbonation et même de pouvoir d’achat convergent fondamentalement. Alors que l’Europe centrale reste encore dépendante du charbon, les opportunités de modifier le mix énergétique sont nombreuses et plausibles :  « Les énergies renouvelables sont la source de production d’électricité de masse la moins chère pour la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Bulgarie » 4, souligne un rapport du groupe d’experts Bloomberg NEF de 2020. Une transition énergétique massive dans la région permettrait, selon les auteurs de l’étude, de faire baisser de 50 % les émissions de CO2 du secteur électrique en dix ans, «une contribution de 6 % aux objectifs de réduction des émissions de l’Union européenne ».

Pour Francisco Silvério Marques l’avenir est partout aux économies d’énergie et à l'accélération de la décarbonation. « Dans dix ans, on ne pourra plus avoir de contrat de services énergétiques basé sur des énergies fossiles, il faudra utiliser une énergie produite sur site et décarbonée, du local, du renouvelable, qui diminue l’impact environnemental, favorise l’autonomie et améliore la visibilité sur le prix. Aujourd’hui, nous sommes performants sur l’aval, sur une meilleure utilisation de l’énergie, et nous allons encore progresser en garantissant toujours plus d’économies d’énergie. En parallèle, nous devons continuer à nous renforcer sur l’amont, sur notre capacité à produire cette énergie locale et renouvelable, de façon à satisfaire les besoins de nos clients. » Une vision d’un avenir décarboné qui pourrait bien advenir sur l’ensemble du Vieux Continent, comme ailleurs.

  1. BRAUDEL Fernand. L’Identité de la France, espace et histoire. Paris : Flammarion, 2009. (Arthaud Flammarion, 1986). ↩︎
  2. WILLIOT Jean-Pierre. « Du déclin au renouveau : l’énergie gazière en France au xxe siècle ». Les Annales des Mines, août 1998. ↩︎
  3. Le chauffage collectif est la production centralisée de chauffage au niveau d’un immeuble, par opposition à la chaudière individuelle dans chaque appartement, ou aux radiateurs électriques. Le chauffage urbain est la production et la distribution de chauffage, pour une ville entière ou du moins un quartier. ↩︎
  4. BloombergNEF (2020). « Investing in the Recovery and Transition of Europe’s Coal Regions ». ↩︎