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Assainir et traiter : une nouvelle frontière pour la santé

Les entreprises qui ont amené l’eau courante dans les habitations n’avaient, au départ, pas prévu de s’occuper de leur assainissement. Ce n’est qu’avec décalage qu’elles ont dû le prendre en charge. Plus précisément lorsque, avec l’époque moderne, advient la fin de l’eau rare, période dans laquelle la ressource était affaire de prestige et de pouvoir plus que de confort et de service : cette nouvelle donne décuple dans des proportions considérables le volume des eaux souillées.

Or, par manque de moyens et de nécessité politique, les villes françaises ont longtemps été réticentes à investir dans l'assainissement : en 1909, seules 10 % des villes françaises de plus de 5 000 habitants appliquent le tout-à-l’égout contre 36 % de leurs homologues allemandes. Les entreprises privées ont donc pris en charge ce service qui a contribué à un aménagement unifié et juste du territoire de notre pays.

Grégory Quenet

Analysant en profondeur les ressorts de la prospérité et de la richesse des nations, le Britannique Angus Deaton, auquel a été décerné le prix Nobel d’économie en 2015, met l’assainissement au coeur de ce qui a permis « la grande évasion » de l’humanité, aux côtés des progrès de la nutrition et de la croissance. En augmentant l’espérance de vie, « non seulement presque tous les nouveaux-nés vivront jusqu’à l’âge adulte, mais chaque jeune adulte a plus de temps pour développer ses talents, ses passions et sa vie, énorme hausse des compétences et du potentiel de bien-être1 ». Une « grande évasion » bien plus engageante que celle du hussard qui, dans le roman de Jean Giono, se réfugie sur les toits pour échapper au choléra2. Les disciples saint-simoniens de Prosper Enfantin n’auraient pu espérer une plus éclatante réussite.

Ils n’avaient pourtant pas, dès 1853, toutes les clés pour relever le défi. L’apport d’eau venant de l’extérieur des villes ne s’est pas immédiatement accompagné de l’évacuation maîtrisée des eaux usées. Surtout, les réseaux se sont d’abord développés sans que l’on se préoccupe vraiment du traitement des pollutions de l’eau, en amont comme en aval de leur consommation. Si des techniques anciennes de traitement existaient bien, il a fallu de nombreuses innovations mais aussi des moyens financiers importants pour assurer durablement la santé des populations et l’accroissement de leur espérance de vie. Comment les territoires se sont-ils saisi de l’enjeu consistant à transformer une eau insalubre en eau saine, buvable sans risque ? Comment les scientifiques ont-ils trouvé le moyen d’assainir les eaux usées rejetées dans le milieu naturel ? Effluents industriels, agricoles, domestiques, impact du dérèglement climatique sur les pollutions aquatiques… où en est l’innovation en termes de traitement ? Retour sur ces progrès rendus possibles grâce à des générations de chimistes et de biologistes.

Les prémices de la potabilisation et du traitement de l’eau

Avec plus de 70 critères de qualité, sanitaires ou environnementaux, l’eau du robinet est devenue l’un des produits alimentaires les plus contrôlés en France. Pourtant, la notion de “potabilité” et “d’assainissement” varie en fonction des époques et des connaissances scientifiques. À l’origine, l’eau que l’on dit « potable » est puisée directement dans les cours d’eau ou dans les nappes souterraines sans autre intervention. Mais plusieurs millénaires avant Jésus-Christ, les populations se rendent compte qu’une eau turbide ou qui dégage une mauvaise odeur peut être incommodante. « Le concept de qualité de l’eau et de traitement est connu depuis longtemps. Les Égyptiens utilisaient des sels d’aluminium, l’alun, pour faire de la coagulation, utilisée pour le traitement de l’eau », pose Philippe Hartemann, professeur de santé publique à l’Université de Nancy.

Le Moyen-Âge constitue, en la matière, une période de régression : aucune innovation majeure du point de vue du traitement de l’eau n’apparaît en près de mille ans. Au contraire, les eaux usées et les déchets sont jetés directement dans les rues et les sources d’eau potable se retrouvent contaminées par les écoulements et les infiltrations. Selon la Bibliothèque Nationale de France, la première évocation d’un égout qui ne soit pas à l’air libre à Paris date de 1325. Il s’agissait d’une galerie qui passait sous l’Hôtel de Ville pour déboucher dans la Seine. Cette période sombre, qui fait encore l’objet d’un discrédit parfois exagéré que le manque de salubrité des villes a participé à façonner, prend fin grâce au développement de la science et à une découverte majeure : celle du microscope en 1670. La recherche va dès lors avancer à pas de géant puisque l'appareil permet aux scientifiques d’observer, notamment, de minuscules particules dans l’eau. Tout au long du XVIIIe siècle, des filtres à eau en éponge, en laine ou en charbon de bois se répandent au sein des foyers. À la même époque, les riches propriétaires ont recours à de grandes cuves en bois brûlé pour conserver l’eau dans de meilleures conditions.

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Au milieu du XIXe, la circulation avant la purification

Mais c’est par le réseau que va d’abord passer la révolution hygiéniste. Le mouvement sanitaire, qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle, prend de l’importance en 1832, lors de la toute première épidémie de choléra à Paris. La virulence de la maladie, qui tue 30 000 personnes à Paris et 100 000 dans tout le pays, met en lumière l’importance de la salubrité des villes. À cette époque, les scientifiques adhérent à la théorie des miasmes, selon laquelle les maladies se transmettent entre individus via une vapeur toxique remplie de particules. Ce qu’il faut d’abord, c’est créer le mouvement, et c’est ce à quoi sert le réseau. Comme l’analyse Alain Corbin, d’après leurs conceptions, « le modèle de la circulation sanguine induit, dans une perspective organiste, l’impératif du mouvement de l’air, de l’eau, des produits. Le contraire de l’insalubre, c’est le mouvement.[…] La vertu du mouvement incite à la canalisation et à l’expulsion de l’immondice. […] Assécher la ville par le drain, c’est désamorcer la stagnation putride généalogique, préserver l’avenir de la cité, assurer, par la technique, la régulation que la nature, seule, ne saurait opérer dans ces lieux d’entassement artificiel3 ». 

Les découvertes du médecin britannique John Snow, à Londres, si elles sont vigoureusement contestées par la communauté scientifique lorsqu’il les présente, viendront renforcer l’attention portée à l’alimentation en eau. C’est lui qui, en effet, met en évidence la transmission du choléra par l’eau contaminée à la suite à l’épidémie de Londres de 1854, et non par l’air vicié. « Il a remarqué qu’il y avait plus de malades d’un côté de la rue que de l’autre. Grâce à son étude épidémiologique, il a démontré que les malades étaient allés chercher de l’eau dans une fontaine dont l’eau était contaminée. Une fois que l’accès à cette fontaine fut interdit, l’épidémie disparut », rappelle Philippe Hartemann. Ces découvertes encouragent la dynamique engagée par les villes pour s’approvisionner en eau ailleurs que dans leurs puits.

À Paris, « pour améliorer la qualité de l’eau consommée, une stratégie de diversification des ressources est mise en place. Dans un premier temps on va chercher une eau plus lointaine ou plus profonde, afin qu’elle soit plus pure », précise Séverine Dinghem, directrice du Soutien aux métiers et de la Performance de Veolia. Pour répondre au défi de la diversification des ressources, le baron Haussmann va lancer la construction d'aqueducs qui alimentent Paris grâce à l’eau puisée dans les sources du Havre ou directement dans la Dhuys. Le traitement de l’eau est loin de s’imposer comme la meilleure manière de disposer d’une eau de qualité, au contraire : “À l’époque, Haussmann et son directeur du service des eaux Belgrand faisaient du fait d’alimenter Paris avec une eau naturellement pure et fraîche un objectif politique, rappelle Paul-Louis Girardot, ancien DG et administrateur de la CGE. Lors de l’exposition universelle de 1867, dans la compétition lancée entre Napoléon III et la Reine Victoria, ils en faisaient la preuve d’une supériorité française retrouvée. Et pour assurer à long terme cet objectif, il était dans les plans d’Haussmann d’aller puiser l’eau dans les alluvions de la Loire et de la mener jusqu’à Paris de façon gravitaire”.

À l’inverse, comme le rappelle Bernard Barraqué, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’eau, la ville de Lyon fait le choix de la proximité en puisant l’eau de ses rivières ou des nappes phréatiques. L’usine de Saint-Clair, exploitée par la Compagnie Générale des Eaux pour la ville de Lyon, traite sommairement l’eau du Rhône en la filtrant naturellement dans deux immenses bassins souterrains. L'évacuation des eaux usées tourne également à l’enjeu dans la capitale française où « la qualité et la collecte des eaux usées va rapidement devenir un sujet pour éviter de contaminer les points de distribution d’eau potable », précise Séverine Dinghem. D’autant plus que plus la consommation d’eau augmente, plus la quantité d’eaux souillées croît elle aussi. Et c’est pour répondre au besoin de salubrité publique que les premiers réseaux d’assainissement vont voir le jour à Paris, à l’heure des grands travaux d’Haussmann, grâce à l’ingénieux système d'égouts d’Eugène Belgrand.

 Débitmètre (Glenelg Sewers Department)

Ce polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, va transformer Paris en créant un double réseau souterrain unifié : l’un apporte l’eau potable tandis que l’autre élimine les eaux usées à travers les égouts. L’objectif d’Eugène Belgrand est multiple : évacuer les eaux pluviales, industrielles et ménagères et permettre un nettoyage des galeries par des wagons-vannes. Sous chaque rue parisienne, il coordonne l’installation d’un égout. Au total, l’ingénieur fait construire 600 kilomètres d’égouts sous les pieds des Parisiennes et des Parisiens. « Ce qui fait la singularité du réseau parisien, c’est qu’il est visitable. Grâce à cela, aujourd’hui encore, on peut diagnostiquer et localiser une fuite à l'œil nu sur la plus grande partie du réseau et à moindre coût en réalisant une inspection ou même en envoyant un drone », indique Séverine Dinghem.

De façon moins monumentale, la Compagnie Générale des Eaux développe aussi ses expertises et signe, en 1880, son premier contrat avec Boulogne-sur-Mer en intégrant la gestion des eaux usées. « Il prévoit en effet la construction d’un réseau d’égouts, prenant en charge l’évacuation des eaux usées et des matières fécales qui, jusqu’alors, se déversent… dans l’avant port st le port d’échouage4 ! ». Elle construit alors 16 kilomètres d’égouts pour compléter l’équipement de la ville. Le réseau d’assainissement tel que nous le connaissons aujourd’hui met évidemment du temps à voir le jour, mais il fait un grand pas à partir de 1894 et de la loi qui impose le tout-à-l’égout.

Entre crises sanitaires et découvertes scientifiques, les débuts du traitement moderne

Les réseaux d’eau ont donc d’abord eu pour fonction d’aller chercher à l'extérieur des villes de l’eau claire en quantité et ceux d’assainissement de relarguer au loin les eaux putrescibles : en phase avec les théories aéristes, ils ne font alors que créer le mouvement pour éviter la stagnation, et pour in fine seulement élargir le cercle des pollutions identifié par John Snow. À ses débuts, « le mouvement sanitaire n’avait aucune science pour guider ses efforts », souligne ainsi Angus Deaton5.

Mais une révolution scientifique voit le jour à la fin du XIXe siècle et va accélérer la prise de conscience de la nécessité de traiter la ressource : peu à peu, la théorie des miasmes cède la place à la théorie microbienne. Aux travaux en épidémiologie du britannique John Snow succèdent ceux des Allemands Robert Koch et Karl Joseph Eberth, qui posent les bases de la microbiologie, puis ceux du français Louis Pasteur, qui en sera l’une des figures les plus célèbres.

Grâce à eux, nous pouvons désormais dire que « tout ce qui pue ne tue pas, et tout ce qui tue ne pue pas », rapporte Alain Corbin6. La corrélation entre l’eau contaminée par des microbes et les maladies est scientifiquement démontrée. « Nous buvons 90 % de nos maladies », énonce Pasteur en 1881.

Ces découvertes permettent de comprendre les problèmes sanitaires qui subsistent à la création des réseaux, et d’y apporter les réponses avec la mise en place de méthodes de traitement. « La science finit par rattraper la pratique, la théorie microbienne des maladies fut comprise et peu à peu mise en application, par le biais de mesures plus ciblées à fondement scientifique ». L’histoire du traitement moderne, après celle des réseaux, s’engage. Mais « passer de la théorie microbienne à l’assainissement et à l’eau sans danger prend du temps et exige argent et autorité ». Cela exige aussi « des compétences en ingénierie et en surveillance, pour garantir que l’eau n’est réellement pas contaminée » 7.

Louis Pasteur, père de la microbiologie et fer de lance du mouvement hygiéniste


Louis Pasteur a laissé un héritage indélébile dans nombre de domaines de recherche, dont la santé publique et le rôle de l’eau dans l’hygiène. Le chimiste et physicien de formation a en effet contribué à la prise de conscience collective que l’eau pouvait contenir des microbes et véhiculer des maladies.

Dans l’imaginaire collectif, la figure de Louis Pasteur, ce sont ces yeux intelligents qui fixent l’objectif du photographe Félix Nadar avec intensité. C’est aussi le père de la médecine moderne, l’inventeur du vaccin contre la rage, l’homme qui a donné son nom à un procédé, la pasteurisation, qui permet de conserver nos aliments et boissons plus longtemps. Mais combien connaissent le rôle pivot qu’il a joué dans la sécurisation de l’eau que nous consommons ?

Né le 27 décembre 1822 à Dole, dans le Jura, Pasteur est admis à 21 ans à l’École normale, où il étudie la physique et la chimie physique. Il soutient en 1847 à la faculté des sciences de Paris ses thèses pour le doctorat en sciences. Dix ans plus tard, il est nommé administrateur chargé de la direction des études à l’École normale supérieure.

Biologie, agriculture, médecine ou hygiène, le chercheur se distingue dans de nombreux domaines et repousse les frontières de la connaissance scientifique de son temps, posant les bases de ce que nous savons aujourd’hui sur les germes et leur rôle dans les maladies. Pasteur consacre ainsi une grande partie de sa carrière à l’étude des maladies hydriques, provoquées par l’eau contaminée et le manque d’assainissement, et notamment au choléra.

L’homme reste dans les mémoires pour sa démonstration de l’existence des microbes, qui se développent entre autres dans les milieux aquatiques. Après des luttes mémorables contre ses contradicteurs, notamment Félix Pouchet, célèbre biologiste et grand défenseur de la génération spontanée, Louis Pasteur publie en 1861 et 1862 ses travaux réfutant cette théorie. Selon lui, les poussières de l’atmosphère renferment des micro-organismes qui se développent et se multiplient : aucun être vivant n’apparaît du néant. Pire : ces microbes peuvent provoquer des maladies, et contaminer des populations entières. Dès lors, il convient de les éviter et de les combattre. 
Ce faisant, Louis Pasteur alimente le mouvement hygiéniste en soulignant l’importance de la propreté, notamment de l’hygiène des mains, et donc le rôle que l’adduction d’eau peut jouer pour lutter contre les maladies. Apportant les preuves dont la théorie microbienne a besoin pour triompher de la théorie des miasmes, il énonce aussi que l’eau peut charrier des maladies sans qu’on le voie ni qu’on le sente, et qu’elle peut nécessiter des traitements pour les éliminer.

S’intéressant de près à la vie des micro-organismes, il contribue dans le même mouvement à poser les bases des premiers traitements, en mettant en évidence le rôle que peuvent jouer des filtres ou les micro-organismes eux-mêmes, qui sont capables de se dévorer, de s’annihiler les uns les autres ‒ c’est le principe des boues activées particulièrement utilisées dans les stations d’épuration.
Les découvertes de Pasteur elles non plus n’ont rien à voir avec la génération spontanée des idées dans l’esprit fer- tile d’un génie : elles sont le fruit de l’expérience, ne s’enchaînent pas sans erreurs et s’insèrent dans une longue série de progrès scientifiques.
La découverte du vaccin antirabique en 1885 vaudra à Pasteur sa consécration dans le monde : il recevra de nombreuses distinctions. L’Académie des sciences propose la création d’un établissement destiné à traiter la rage: l’institut Pasteur naît en 1888. L’homme meurt le 28 septembre à Villeneuve-l’Étang, dans une annexe de l’Institut qui porte son nom. Il laisse en héritage une modification profonde de notre rapport à l’eau, résumée dans cette citation apocryphe : « Nous buvons 90 % de nos maladies. »

Traiter l’eau que l’on boit : des nouvelles techniques au renforcement de la surveillance

Pour que l’eau qui parvient aux robinets des Français soit de la meilleure qualité possible, les usines de production d’eau potable, et notamment celles exploitées par les ingénieurs de la Compagnie Générale des Eaux, s’équipent dans un premier temps de systèmes de filtration lente sur sable : ils enlèvent d’abord la turbidité de l’eau – ce qui lui donne sa couleur. Ces systèmes sont progressivement complétés par des dispositifs de décantation et de coagulation qui sédimentent les particules et les font couler au fond des bassins avant le passage de l’eau dans les filtres, améliorant considérablement la qualité de l’eau distribuée. En Allemagne, Koch fait installer de grands filtres à sable pour alimenter Hambourg en eau et met ainsi fin à une épidémie de choléra. Grâce aux travaux de Pasteur, à la fin du XIXe siècle, les filtres peuvent mieux éliminer les microbes. C’est le cas du filtre qui porte son nom, le filtre Pasteur, imaginé par Chamberland, biologiste et physicien français. Équipé d’une bougie en porcelaine, il filtre les liquides et peut retenir les micro-organismes contenus dans l’eau.

Ingénieurs et dirigeants de la Compagnie Générale des Eaux sont attentifs aux nombreuses évolutions scientifiques et accompagnent les initiatives qui visent à augmenter la capacité de traitement de l’eau en France. « Après s’être penchés sur les méthodes de filtration pratiquées en Allemagne et en Angleterre, ils concluent qu’elles ne sont pas suffisantes pour obtenir une eau potable de qualité. Ils se prononcent en faveur de la méthode par coagulation concrétisée par le procédé dit “Anderson”, à base de fer », narre Patrick Gmeline8.

Photo d'un filtre Pasteur-Chamberland


Ainsi les usines dédiées se multiplient, transformant un peu plus notre rapport à l’eau, qui passe d’une ressource naturelle à portée à main à une ressource que l’on achemine, s’apparente de plus en plus à un bien nécessitant à son tour la transformation, l’intervention de l’homme. Dans la capitale, où la qualité de l’eau reste instable, « la Compagnie Générale des Eaux est sollicitée pour participer au progrès de la pureté de l’eau parisienne ». L’usine de Choisy-le-Roi, construite en 1861, dispose de filtres lents sur sable à partir des années 1890 : une première du genre en France.

Des travaux importants sont « entrepris par la Compagnie dans les deux stations de Méry-sur-Oise et de Neuilly-sur-Marne », et les premières expériences sur les nouveaux systèmes de filtration sont conduites à l’usine de Boulogne-sur-Seine.

Mais cela ne suffit pas. « En 1892, Paris et des banlieues sont à nouveau durement touchées par le choléra qui va tuer 1 800 personnes. Alors qu’en amont de la capitale, où l’eau du fleuve est relativement pure, le choléra ne cause qu’un nombre minimum de victimes, en aval des déversoirs des égouts, la mortalité est bien plus considérable ». S’ensuivent deux conséquences. La première tient à la révision du schéma général de distribution, dans lequel il est convenu que la Compagnie « regroupe ses usines filtrantes en amont de la Seine », à Choisy-le-Roi. La seconde porte directement attention à la qualité de l’eau produite, « puisée dans des zones réputées propres » et surtout « épurées par le traitement au fer suivi d’une filtration au sable »9. Au début du siècle suivant, les traitements physico-chimiques de l’eau par ozone, ultraviolets ou chlore viennent compléter le filtrage de l’eau avec la désinfection. Ces découvertes coïncident avec la loi relative à la santé publique de 1902 qui oblige, pour la toute première fois, les communes à respecter un certain nombre de critères de qualité de l’eau. « Les hygiénistes ont fait passer dans la réglementation la recherche d’indicateurs de contamination fécale. Quand on en trouvait dans l’eau, elle était classée à risque pour la consommation humaine », précise le professeur Philippe Hartemann.

Nice joue un rôle singulier dans la mise au point du premier de ces nouveaux traitements, l’ozone. À Nice comme à Paris, la qualité de l’eau apportée par les réseaux est restée insatisfaisante. Un chimiste local, Marius-Paul Otto, va s’appuyer sur la découverte de de ce gaz artificiel fait de trois molécules d’oxygène, réalisée par le hollandais Martin Van Marum en 1781, et sur celle de ses vertus bactéricides, réalisée par l’allemand Ohlmüller en 1891, pour mieux traiter l’eau. « Le principe en était simple : en produisant de l’ozone à travers l’électricité, on pouvait détruire dans de fortes proportions microbes et matières organiques contenues dans l’eau… Mais, pour que le procédé soit utilisable à grande échelle, il faudrait naturellement produire l’ozone industriellement »10. C’est ce à quoi Otto parvient.

Si la Compagnie est intéressée par ses travaux, elle reste d’abord prudente face à cette innovation et refuse de s’engager financièrement – contrairement à ce qui adviendra plus tard, où elle intégrera en son sein la Compagnie Générale de l’Ozone créée par Otto. Mais les choses s’engagent sur le terrain des opérations. Le conseil municipal de Nice donne en 1905 à la Compagnie Générale de l’Ozone « le feu vert pour mettre en place son procédé d’ozonation » sur le site de Bon Voyage exploité par la CGE. L’unité d’ozonation, la première au monde de ce type, est mise en service en 1907. Deux autres suivront immédiatement à Nice puis dans toute sa région. En quelques années, elle « est considérée partout comme ayant l’eau la plus saine de France »11. Le procédé se développera ensuite dans le pays et à l’étranger.

Au-delà des traitements techniques, c’est l’importance de la surveillance que vient souligner la fièvre typhoïde qui survient à Lyon en 1928. Le bilan y est très lourd, avec plus de 300 morts. « En cause : un aqueduc construit par le PLM, situé entre deux puits de captage et devenu au fil des ans un égout dans lequel se jetaient les eaux résiduelles de nombreuses villas, construite à Vassieux, près de l’usine du même nom appartenant à la compagnie ». Des mesures sont prises, telles la protection accentuée des zones de captage, mais, pour renforcer la qualité de la surveillance « la mise en place d’un laboratoire voué à la qualité bactériologique des eaux »12.

Traiter l’eau que l’on rejette : de l’épandage aux stations d’épuration

Rapidement, le lien entre l’amélioration de la qualité de l’eau consommée et celle de l’eau rejetée est établi. À Paris, à l’origine du système construit par Eugène Belgrand, les eaux usées sont évacuées vers deux sites situés à Asnières et Clichy, en proche banlieue parisienne. Toutefois, les 400 000 mètres cubes d’eaux souillées rejetés chaque jour dans la Seine créent une pollution très importante. Eugène Belgrand opte alors pour une solution alternative : l’épandage, inspiré en cela par des pratiques encore en vigueur, les vidangeurs de fosses septiques étant habitués à revendre le produit de leurs purges comme engrais.

« On s’est rendu compte que rejeter des eaux usées dans les cours d’eau n’était pas la bonne option, car même si ceux-ci ont une capacité auto-épuratoire, ils éliminent les nutriments seulement quand ils sont présents dans une certaine quantité. Rejeter les eaux usées en dehors des villes n'était pas suffisant, il fallait les traiter quand il y en avait trop. À Paris, cela a commencé par le rejet des eaux usées dans les champs », souligne Sophie Besnault, ingénieure de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). C’est sur la plaine de Gennevilliers, que l’on tente alors d’infiltrer les eaux usées dans le sol. « C’est une première partie de traitement parce qu’on réutilise les nutriments par le sol pour faire pousser des plantes. Mais on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas assez de terre pour pouvoir déverser toutes les eaux, cela saturait. C’est à partir de là que l’on a commencé à construire les premières stations d’épuration », ajoute Sophie Besnault. 

La SARP : de l'évacuation au traitement

En 1937, Charles Dubreuil crée la SARP: la Société d’assainissement de la région parisienne. C’est une entreprise de vidange qui en agrège de plus petites. L’enjeu: bénéficier de la prime à la part de marché qui existe dans ce secteur fonctionnant au bouche-à-oreille ‒ plus nombreux sont les clients, plus nombreux sont les prescripteurs, et, à nouveau, plus nombreux sont les clients ‒ et massifier les quantités d’excréments utilisés comme engrais en épandage.
Les sociétés de vidange sont à cette époque créées par des agriculteurs à la recherche d’amendement pour leurs champs, à l’image de la CIG, qui rejoindra la SARP dans les années 1980 : elle avait à l’origine été fondée par un cultivateur de tulipes de Gonesse dans le Val-d’Oise.

Le succès de la SARP, qui émerge dans un secteur atomisé de petits acteurs, est le symbole d’un changement d’ère, du passage d’une démarche rudimentaire à une approche plus technique, de la seule évacuation des boues à leur traitement. Les camions remplacent les hommes et les chevaux, ils coûtent cher et nécessitent des fonds.
Les centres de traitement surtout, avec une offre qui s’enrichit, ont besoin de volumes pour fonctionner. La SARP sent bien l’air du temps qui accorde une importance grandissante à la science. Elle change dans les années 1960 le sens de son acronyme, qui devient : Société d’Assainissement Rationnel et de Pompage. Animée d’un esprit entrepreneurial, la SARP développe alors ses activités par capillarité et en en faisant un terrain d’innovation permanent.

« À partir de la fosse septique individuelle, on s’est dit qu’il y aurait tout intérêt à curer les réseaux d’assainissement collectifs et à offrir des solutions pour la vidange et le nettoyage d’équipements industriels », raconte Marc-Olivier Houel, qui a été directeur général de la SARP de 2013 à 2023. « Et puis comme les déchets issus du pompage étaient sableux, graisseux, huileux et dangereux, nous avons rapidement mis en place des solutions idoines pour protéger l’environnement, accompagner nos clients et monter en compétence notre métier. »

Sur le front de la vidange, à côté de l’activité de nettoyage des fosses septiques individuelles qui a continué à prospérer ‒ la France a une densité trop faible pour raccorder chaque foyer au réseau, contrairement aux nations d’Europe du Nord, et elle compte toujours au moins 4 millions de fosses septiques ‒, s’est développée l’activité de curage des réseaux d’assainissement des villes et des industries. Dans les années 1980, les premières techniques d’inspection à distance apparaissent, d’abord avec des caméras VHS, « avant d’aller jusqu’à recourir au drone aujourd’hui », souligne Yannick Ratte, directeur général de la SARP en 2023. D’autres innovations se présentent, comme la technologie Vertigo qui, en projetant une pellicule d’époxy à l’intérieur des canalisations, permet de les réhabiliter sans avoir à détruire les colonnes, à la plus grande satisfaction des bailleurs. 

Sur le front du traitement, c’est à partir des centres que des techniques sont imaginées pour traiter les déchets dangereux.

Car avec le développement de l’industrie, ces déchets affluent : « À qui Renault, pressentant des enjeux environnementaux à venir, pouvait-il penser à l’époque pour pomper les résidus des bacs de peintures de son usine de Boulogne- Billancourt ? À la SARP », rappelle encore Marc-Olivier Houel. Cela a permis à la Compagnie Générale des Eaux, qui a intégré la SARP en son sein en 1970, d’avoir de premières solutions lorsqu’elle a été confrontée quelques années plus tard à des pollutions sur l’usine d’eau potable de Méry-sur-Oise, pour les traiter à la source et donner, rapidement ensuite, naissance à SARP Industries, devenue entre-temps la référence en matière de traitement de déchets dangereux.

En parallèle, la SARP a innové en lançant les premiers centres de traitement des boues de curage en lavant les sables et en valorisant les résidus graisseux nobles, une première en France. Autant de développements et d’innovations qui positionnent aujourd’hui cette entité de Veolia à la croisée de tous ses métiers.

Du côté des avancées scientifiques, l’innovation majeure du début du XXe siècle est la découverte en 1914 par deux chercheurs anglais, Edward Ardern et William Lockett, des cultures libres ou boues activées. Le principe ? Utiliser des bactéries naturellement présentes dans la nature pour purifier les eaux usées. « Dans des bassins, on va injecter de l’air qui va servir à faire vivre les bactéries. Lorsqu’elles vivent, les bactéries mangent des nutriments. Par décantation, on sépare ces bactéries de l’eau, on les place dans de grands bassins puis elles tombent au fond de ces bassins », indique Sophie Besnault. Aujourd’hui encore, les boues activées, solution fondée sur la nature, sont le procédé majoritairement utilisé pour le traitement des eaux usées dans notre pays. « La moitié des stations d’épuration en France fonctionne avec les boues activées. C’est le cas de toutes les stations supérieures à 10 000 équivalents-habitants », ajoute-t-elle.

La première station d’épuration française voit le jour en 1940 à Achères dans les Yvelines, après trois années de travaux. À ses débuts, le service de l'assainissement dépend entièrement de l'État. Comme le rappelle Séverine Dinghem, « le secteur privé, et donc la Compagnie Générale des Eaux, a été tardivement associé à la collecte et surtout au traitement des eaux usées, car ce service public était directement financé sur fonds publics, non par les usagers » – et on a mesuré l’importance de la relation aux usagers dans le recours aux entreprises privées. Dans un second temps seulement, après la Seconde Guerre mondiale et surtout après la loi française sur l’eau de 1964, la facturation de l'assainissement à l’usager, la complexification des pollutions industrielles et le développement des technologies motiveront le lancement des partenariats entre public et privé et l’équipement du territoires en stations d’épuration.

La station d'épuration d'Achères
© ToucanWings


In fine, des méthodes aux fondements similaires sont utilisées pour le traitement des eaux potables et des eaux usées : des procédés physico-chimiques, biologiques et chimiques, qui s’appuient sur l’oxydation des composés. Depuis le début du XXe siècle, ces méthodes ne cessent de progresser, pour consommer moins d’énergie, utiliser moins d’espace, traiter de plus grandes quantités d’eau et éliminer des pollutions toujours plus pointues. Au fil des ans, d’ailleurs, plus les pollutions deviendront complexes, plus ces procédés seront associés les uns aux autres, pour venir à bout des plus tenaces et aller jusqu’à produire, à partir des années 1970, de l’eau potable directement à partir des eaux usées.

Eaux de pluie : de l'évacuation à la récupération

Dans la première époque de construction des réseaux d’assainissement, le choix a été fait de collecter ensemble les eaux pluviales et les eaux usées, pour les sortir au plus vite hors des villes et limiter à la fois les maladies et les inondations. Ce choix originel de l’évacuation sous-tend aujourd’hui encore le schéma d’assainissement le plus classique.

Mais il n’est pas sans inconvénient. À l’étape de l’assainissement, il s’est avéré avec le temps que l’eau pluviale, polluée par le ruissellement qui la charge en pollution lorsqu’elle lessive sols et bâtiments, pouvait en réalité… ne pas l’être assez pour un fonctionnement optimal des stations d’épuration. « Le problème, c’est que pour fonctionner correctement une station d’épuration a besoin de pollution.
Avec les eaux pluviales, les bactéries épuratrices sont moins performantes dans les milieux dilués, et les ouvrages sont soumis à des surcharges hydrauliques, indique Cyril Gachelin, responsable des formations et spécialiste des eaux pluviales à l’OiEau.

On s’est donc rendu compte que les eaux pluviales engendraient un certain nombre de dysfonctionnements pour les stations d’épuration. »  

Aussi, depuis les années 1990, l’approche s’est-elle affinée : de plus en plus, les eaux pluviales et les eaux usées tendent à être collectées par des réseaux distincts, dits « séparatifs ». Désormais, les eaux pluviales sont considérées comme des « eaux claires parasites » pour le réseau d’assainissement dans les systèmes séparatifs, c’est-à-dire des eaux provoquant des risques d’usure ou de surcharge des canalisations, mais aussi des consommations électriques trop élevées, et enfin une baisse du rendement des stations d’épuration. 

Une évolution qui implique de lourdes conséquences opérationnelles et dont l’impact doit à chaque fois être mesuré au regard de la situation locale ‒ les stations d’épuration pouvant, pour certaines, être adaptées en l’absence de séparation.
Il faut noter que la séparation des deux réseaux est complexe à réaliser, elle réclame des travaux de fond sur le réseau qui expliquent pourquoi ce choix est rarement adopté par les autorités.

Dans le même temps, pour lutter contre les inondations, l’infiltration de l’eau dans les sols est apparue comme un complément indispensable à la seule évacuation des eaux de pluie. En France métropolitaine et outre-mer, entre les années 1980 et les années 2020, « entre 200 et 250 kilomètres carrés [ont été] imperméabilisés annuellement, ce qui représente l’équivalent d’un département français tous les vingt-cinq à trente ans », indique le ministère de la Transition écologique. Or, l’imperméabilisation des sols couplée à la survenue plus fréquente des pluies exceptionnelles contribue à aggraver dangereusement le risque d’inondation. Il faut donc favoriser l’infiltration des eaux pluviales directement dans le sol.

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Nouvelles pollutions et limites planétaires : des défis pour l’avenir

Aujourd’hui, les stratégies de traitement de l’eau doivent faire face à plusieurs défis. Et toujours, comme depuis cent soixante-dix ans, à des défis d’ordre sanitaire. Car en même temps que les pollutions se complexifient, qu’elles soient d’origine agricole, industrielle ou médicale même, avec les résidus de médicaments, les capacités de détection des particules elles aussi s’accroissent, ouvrant le champ à de nouvelles possibilités de traitement.

Santé : entre détection et prévention, de nouvelles solutions 

Veolia participe activement à l’effort de détection. Depuis l’adoption d’une directive européenne en 2000, la recherche de substances dangereuses dans les rejets d’eau est obligatoire dans les stations d’épuration de plus de 10 000 équivalents-habitants. Afin d’y répondre, le groupe et son partenaire Watchfrog ont une solution pour repérer la toxicité éventuelle liée à la présence de perturbateurs endocriniens ou de micropolluants dans les effluents des stations d’épuration. Une fois détectés, comment les traiter ? « Pour traiter ces micro-polluants, on utilise principalement les technologies de la potabilisation de l’eau que l’on met en sortie de station d’épuration. Seulement, le traitement de ces micropolluants nécessite beaucoup d’énergie et de moyens », rappelle l’ingénieure Sophie Besnault.

Depuis les années 1990, les usines de potabilisation et certaines stations d’épuration ont recours à l’ultrafiltration membranaire, une véritable révolution dans le domaine, qui ne cesse de s’améliorer : Veolia travaille aujourd’hui sur deux types de filtres au potentiel spectaculaire, des nanotubes de carbone et des membranes imitant les branchies des poissons. Avec le souci de les rendre les plus accessibles et économes en énergie. Globalement, le progrès technique permet aujourd'hui de filtrer des polluants encore indétectables il y a quelques années. À Aarhus, au Danemark, une première expérience a été menée en 2014 par Veolia pour traiter les résidus médicamenteux d’un hôpital et de la station d’épuration municipale. Grâce à la technologie MBBR (Moving Bed Biofilm Reactor), qui utilise des micro-organismes afin de dégrader les matières organiques, 90 % des résidus médicamenteux ont été éliminés. Les tests ont prouvé par ailleurs qu’il fallait privilégier le traitement des eaux municipales, car les gens consomment les médicaments à domicile. C’est pourquoi il est primordial également de traquer ces résidus à la source : la meilleure pollution est celle que l’on ne produit pas.
« Au-delà des nombreuses solutions techniques disponibles pour identifier, mesurer et éliminer les micropolluants présents dans les eaux, il faut aussi songer à faire évoluer les mentalités, explique Géraud Gamby, directeur de marché Eau chez Veolia. En organisant des campagnes de sensibilisation des citoyens et des acteurs économiques, en misant sur le maillage associatif, c'est sur les habitudes et les usages qu'il convient d'agir ».

Environnement : contribuer à respecter les limites planétaires

Les traitements de l’eau enfin, comme toutes les activités humaines, doivent s’adapter au changement climatique. Car celui-ci pose d'importants problèmes de quantité mais aussi de qualité de l’eau. « Lorsque l’on connaît des épisodes de sécheresse, la qualité de l’eau se dégrade avec un développement d’algues, une concentration de la matière. L’eau devient alors plus difficile à traiter. Un renforcement des étapes de traitement est nécessaire. », souligne Hervé Paillard, directeur du département Procédés et Industrialisation chez Veolia.

Mais au-delà, ils doivent aussi participer à la mobilisation collective pour respecter les limites planétaires, qu’il s’agisse du changement climatique, du cycle de l’eau douce, du cycle de l’azote et du phosphore ou de la biodiversité.

Les efforts de recherche entrepris pour rendre les traitements de l’eau moins consommateurs – voire producteurs – d’énergie, moins consommateurs d’eau elle-même, ou mieux capables de traiter les pollutions affectant les milieux, y contribuent. « Les nouvelles générations de membranes sont plus efficaces. Souvent développées pour répondre aux demandes des industriels, très exigeants sur la performance et soucieux de réduire leurs prélèvements sur le milieu, ces technologies se déploient aussi pour des usages municipaux », partage Anne Le Guennec, directrice générale de Veolia Water Technologies.

Mais ce n’est pas qu’une affaire de technologies. C’est aussi une affaire de femmes et d’hommes, qui doivent au cœur des opérations faire le meilleur usage des traitements disponibles, en tenant compte des circonstances locales et de l’ensemble des objectifs. Ainsi en va-t-il pour le traitement de l’azote : « Nous avons toujours à cœur de remplir au mieux notre mission, raconte Pierre Ribaute, directeur général de l’activité Eau France de Veolia. La réduction de l’azote dans l’eau en-deçà des seuils réglementaires nous anime particulièrement, pour protéger les milieux. Et les technologies disponibles nous le permettent. Mais nous devons nous garder de les mobiliser jusqu’à faire de la surqualité. Car le traitement de l’azote produit du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. Le lean management, qui responsabilise les équipes de terrain, doit nous aider à parvenir à maîtriser les équilibres. » Pour veiller à la santé humaine et à la préservation de la planète. 

Face au Covid : des innovations pour détecter et prévoir l’épidémie

Le confinement auquel l’ensemble de la planète a fait face en 2020 a été l’occasion de mesurer toute l’importance que représentent les services essentiels opérés par Veolia. L’alimentation en eau potable, la salubrité des villes, la fourniture d’énergie ont alors été perçues à leur juste valeur. Sans la mobilisation des équipes de Veolia, sur le terrain comme depuis leur domicile, c’est autant de crises qui se seraient ajoutées à la crise sanitaire.

Dans le même temps, les équipes de recherche de Veolia se sont investies dans la mise au point d’analyses permettant de lire dans les eaux usées la présence et le devenir de l’épidémie. Indicateur d'alerte précoce de la circulation probable du virus dans la population, son dispositif de surveillance Vigie-Covid-19 a en effet permis, et détectant le virus et en suivant son évolution, d’accompagner la prise de décision des acteurs locaux.
Ce dispositif replaçait les résultats de l’analyse dans leur contexte (pluviométrie et nombre d’équivalents-habitants) et les comparait avec des données épidémiologiques publiques.

L’évolution des résultats dans le temps permettait de contribuer à l’identification d'un possible rebond de l’épidémie. Vigie-Covid-19 a pu constituer, pour Philippe Sébérac, directeur de l’expertise technologique et scientifique de Veolia, « un excellent complément aux essais cliniques dans le dispositif de la lutte contre la propagation de l'épidémie en fournissant des informations lisibles et des dynamiques cohérentes avec les taux d’incidence rapportées par les autorités sanitaires en Europe ».

Surveiller les eaux usées pour anticiper des épidémies d’origine virale constitue aujourd’hui une méthode prometteuse. Dès 2003, l’OMS a recommandé cette approche pour la prévention de la poliomyélite (poliovirus). La communauté scientifique internationale s’accorde aujourd'hui sur le fait que les eaux usées « reflètent en partie l’état de santé de la population ».

Pour revivre cette année 2020 aux côtés des équipes Veolia, retrouvez ici le film documentaire « En premières lignes », réalisé lors du confinement, partout à travers le monde :

 

Au Chili, la révolution continue de l’eau saine

Au Chili, les risques de pollution de l’eau sont aigus. Les activités minières, les rejets industriels et le traitement inadéquat des eaux usées ont longtemps pollué les rivières et les nappes phréatiques, les rendant impropres à la consommation humaine et endommageant des écosystèmes fragiles. Les pratiques agricoles, telles que l'utilisation de pesticides et d'engrais, contribuent également à la pollution de l'eau, ce qui présente des risques pour la santé des humains et de la faune.

Pour répondre à ces enjeux, Aguas Andinas, filiale de Veolia au Chili, a engagé la construction d’un service complet de l’eau, notamment autour de Santiago du Chili, allant de l’approvisionnement en eau potable au traitement des eaux usées, et mettant fin à des épidémies de maladies hydriques qui, récemment encore, restaient fréquentes.

Aguas Andinas a en particulier contribué à l'assainissement du fleuve Mapocho. Jusqu'en 1999, seulement 3 % des eaux usées de Santiago étaient traitées, tandis que le reste était déversé dans le fleuve, entraînant des conséquences funestes pour l'écosystème et la santé publique. Grâce à des travaux tels que le projet Mapocho Urbano Limpio, qui a supprimé les rejets d'eaux usées dans les principaux cours d'eau de la région, la situation a radicalement changé en à peine plus d'une décennie.

Les bénéfices en ont été très directs, au premier titre, la baisse rapide des épidémies : une étude de l'Université du Chili a révélé que la mortalité due aux maladies diarrhéiques chez les enfants d'âge préscolaire est passée de 3,8 pour 100 000 habitants en 1990 à 0,6 en 2003, démontrant l'impact positif de l'assainissement sur la santé publique.

L’assainissement a également permis l'amélioration de l'état de la rivière et de son écosystème. Sans compter que l’eau assainie peut désormais être réutilisée pour l'irrigation agricole, les parcs, les centres sportifs, et même pour la recharge des aquifères, ce qui renforce les ressources en eau disponibles pour la région. 

Aguas Andinas a ainsi contribué à mettre fin à des décennies de rationnement. C’est un bénéfice notable à l’heure du dérèglement climatique, qui renouvelle le défi de l’approvisionnement en eau de la capitale chilienne, longtemps incertain et à nouveau mis à l’épreuve. 

Il faut dire que les pénuries d’eau sont un problème de premier plan dans tout le pays. La ressource se fait particulièrement rare dans les régions où règnent des climats arides et semi-arides. Les précipitations y sont limitées et irrégulières, et entraînent, conjuguées à sa forte utilisation pour l’activité économique, une insuffisance de la ressource en eau. Santiago du Chili, dont 70 % de l’approvisionnement en eau dépend du fleuve Maipo dans lequel se jette le Mapocho, n’y fait pas exception.

Aguas Andinas a investi pour diversifier ces sources d’approvisionnement, puiser l’eau dans de nouveaux puits, et pour stocker l’eau potable. De la sorte, les quartiers qui dépendent du Maipo ont vu leur capacité d’autonomie passer de quatre heures en 2011 à vingt-quatre heures dix ans après.

Ces progrès ont permis d’éviter en 2021 les rationnements en eau, tandis que des pluies diluviennes exceptionnelles, en amont du fleuve Maipo, ont entraîné des glissements de terrain qui ont chargé l’eau d’une telle turbidité que sa potabilisation a été mise à mal. Sept millions de personnes, qui ont échappé à la pénurie, ont alors mesuré l’impact du groupe sur leur quotidien.

L’objectif est aujourd’hui de passer à quarante-huit heures, et de poursuivre l’ensemble des actions menées pour réduire la vulnérabilité de Santiago du Chili.

Après plus de dix années de sécheresse, les autorités chiliennes ont planifié en 2022 des mesures d’adaptation et de sobriété, auxquelles Aguas Andinas contribue, pour éviter le retour des rationnements stricts. 

  1. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016 ↩︎
  2. Jean Giono, Le Hussard sur le toit, 1951 ↩︎
  3. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982, p.329 ↩︎
  4. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.115 ↩︎
  5. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016, p.119 ↩︎
  6. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982, p.329 ↩︎
  7. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016, p.119 ↩︎
  8. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République ↩︎
  9. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.132 ↩︎
  10. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.147-148 ↩︎
  11. Ibid, p.147-148 ↩︎
  12. Ibid, p.168 ↩︎