fr | en | es

Économiser l'énergie : des chocs pétroliers aux services digitalisés

L’âge de l’abondance énergétique fondée sur les énergies fossiles reposait sur trois éléments structurels: des fournisseurs dont les profits augmentaient avec la quantité d’énergie consommée, des usages locaux illimités grâce à l’utilisation des ressources de territoires lointains et des infrastructures centralisées lourdes gérant l’approvisionnement et la distribution. L’âge de la sobriété énergétique est une transformation profonde de ces trois piliers, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités de marché qui s’appuient sur l’optimisation de l’énergie existante plutôt que sur l’extraction, la maximisation des ressources du territoire où l’on vit pour diminuer l’impact global, des réseaux décentralisés organisés autour des consommateurs locaux. S’il est difficile de savoir à quoi ressemblera exactement ce nouveau monde, il sera profondément différent par ses acteurs, sa géographie et ses équipements.

Grégory Quenet

Si on regarde la grande frise de l'histoire de l’énergie depuis les débuts de l’humanité, on ne peut pas dire que les deux derniers siècles aient été ceux des économies d’énergie. Au contraire, comme le note Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS, « de 1900 à 1950, la consommation mondiale d’énergie double, passant de 1 à 2 milliards de tep (tonne équivalent pétrole, ndlr), puis c’est l’accélération et la multiplication par six entre 1950 et 2010. Il n’aura fallu que soixante ans pour passer de 2 à 12 Gtep: un instant seulement à l’échelle de l’histoire humaine » 1. Et ce n’est pas terminé... Dans le rapport 2022 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le scénario fondé sur les politiques actuelles prévoit que la demande totale d’énergie augmentera de 21 % et que la consommation d’électricité augmentera de 50 % d’ici 20402.

Bien entendu, ces chiffres cachent des réalités locales très disparates puisque, depuis la fin du XXe siècle, ce sont surtout les pays émergents qui dopent la croissance de la demande en énergie. Parmi les pays développés aussi, on distingue divers modèles de consommation énergétique. Celui des territoires à faible densité démographique et producteurs d’énergie primaire, comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie, se caractérise par une forte demande en transports et en équipements ménagers, automobiles ou industriels très consommateurs. En revanche, les pays européens et le Japon se différencient par une plus forte densité démographique, et des ressources en énergie moindres, ce qui engendre une consommation par habitant deux fois moins importante que celle des pays du modèle précédent. La France fait partie de ces États dont l’histoire est marquée par une consommation d’énergie plus modérée. En 1913 déjà, elle consommait le quart des besoins américains, rappelle Alain Beltran, directeur de recherche au CNRS. Lors du premier choc pétrolier, pour une consommation de base 100 en France, les Américains sont à 260, la Grande-Bretagne à 120 et le Japon à 86. Alain Beltran conclut : « Par nécessité, notre pays n’a jamais véritablement gâchéson énergie. » 3

Reste que les efforts principaux des politiques françaises ont, pendant longtemps, porté sur la sécurisation de l’approvisionnement en énergie. La question est d’ailleurs loin d’être résolue puisque, en 2023, environ 775 millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à l’électricité, d’après l’AIE4. Mais pour que le scénario Zéro émission nette à l’horizon 2050, préconisé par l’AIE et le GIEC, puisse avoir lieu, il est impératif d’aller plus loin dans la combinaison de la garantie d’approvisionnement avec des économies d’énergie et la promotion des énergies renouvelables. « Les prix élevés actuels de l’énergie mettent en évidence les bénéfices liés à l’accroissement de l’efficacité énergétique, note l’Agence internationale de l’énergie, et incitent à modifier les comportements et les technologies dans certains pays pour réduire la consommation d’énergie. Les mesures en faveur de l’efficacité énergétique peuvent avoir des effets spectaculaires – les ampoules d’aujourd’hui consomment au moins quatre fois moins que celles qui étaient en vente il y a vingt ans –, mais il reste encore beaucoup à faire. »

Pour amplifier leur effet, Eric Bardelli, directeur technique et projets de l’activité Énergie de Veolia en France, partage sa conviction de l’importance des partenariats locaux public-privé pour relever le défi des économies d’énergie : « La clé du succès pour s’engager sur la voie de la performance énergétique : identifier des méthodologies applicables sur les territoires pour gagner du temps et être plus efficace. Le savoir-faire et l’expertise de Veolia par rapport aux enjeux d’énergie nous permettent de prendre de la hauteur et de développer une vision solidaire et coopérative au sein de laquelle les élus locaux jouent un rôle déterminant. » La sobriété et la flexibilité de notre consommation énergétique doivent ainsi devenir prépondérantes à l’avenir, dans le sillon creusé par les réponses mises en place à la suite des chocs pétroliers, dont nous avons trop rapidement remisé au grenier les bonnes habitudes qu’elles avaient commencé à installer.

À partir des chocs pétroliers, le développement des économies d’énergie

En 2022, les pays occidentaux se sont retrouvés dans une situation similaire, par de nombreux aspects, à celle à laquelle ils avaient été confrontés dans les années 1970 avec les chocs pétroliers : des risques quant à leur sécurité d’approvisionnement en énergie. Plus que la sensibilité croissante aux enjeux environnementaux, c’est ce qui a ravivé l’attention politique pour les économies d’énergie sur lesquelles, entre-temps, Veolia a développé ses expertises. Quand le gouvernement français annonce un plan de sobriété énergétique pour faire face à la hausse des prix de l’énergie à la suite de l’invasion russe en Ukraine, les plus de 60ans constatent bien que l'histoire se répète. Il incite notamment les Français à ne pas chauffer au-delà de 19 °C les pièces de la maison et à se connecter à l’application EcoWatt pour éviter les pics de consommation. Une centaine d’entreprises signent également la charte EcoWatt avec RTE, à l’image du groupe Veolia qui s’engage à remplacer les appareils les plus énergivores sur les sites qu’il opère, à doubler sa capacité d’effacement électrique ou encore à réduire à 19°C les consignes de température sur ses 4 000 sites.

De fait, des mesures semblables avaient déjà été prises lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979. En 1974, un texte de loi est voté afin de plafonner la température légale autorisée à 20 °C, puis, dans un second temps, à 19 °C dans un décret de 1979 venant modifier la loi. Ces températures sont même inscrites en 2015 dans le Code de l’énergie, mais aucun contrôle ne sera véritablement instauré, ni à cette époque ni jusqu’à aujourd’hui. Des campagnes de sensibilisation vont perdurer jusqu’au début des années 1980, vantant «la météo-chauffage» qui permet de mieux « maîtriser la consommation ».

© Doris Morgan



À l’époque déjà, la sobriété fait son immixtion dans le langage, et appelle les entreprises à l’action : « Il est désormais indispensable que la sobriété ne soit plus seulement le fait de comportements en “bon père de famille” de la part des consommateurs, mais s’inscrive matériellement dans les équipements, au sens large, qu’ils utilisent, disait ainsi Pierre Amouyel, chef de service de l’énergie et des activités tertiaires au commissariat général du Plan, dans la revue La Jaune et la Rouge de juin 1980, dans les maisons ou les appartements qu’occupent les ménages, dans les véhicules, individuels ou collectifs, qui les transportent, dans les bureaux où ils travaillent ou dans les usines qui produisent les biens qu’ils consomment. » La période ne va alors pas sans déstabiliser les entreprises d’exploitation de chauffage, comme la Compagnie Générale de Chauffe, qui n’ont pas l’autorisation de reporter sur leurs tarifs la hausse du prix du pétrole. Pour autant, cette dernière voit dans les mesures gouvernementales une véritable opportunité de développement, comme elle l’expose dans une brochure de 1979 : « La Compagnie Générale de Chauffe peut avoir un rôle très actif dans cette nouvelle politique. En effet, dès son origine, elle a eu pour but essentiel de s’assurer la maîtrise de l’énergie et de développer son utilisation dans les conditions les plus rationnelles. »

La vision de l’époque résonne en effet parfaitement avec celle développée par la Compagnie Générale de Chauffe dès ses origines : « Pour assurer la prise en charge complète et durable des installations, le groupe propose différents types de contrats adaptés aux besoins de la clientèle. [...] Ces contrats de base, tout en assurant aux usagers le confort apprécié, satisfont aux exigences d’économie d’énergie, de longévité du matériel, de modernisation et de renouvellement du potentiel thermique. » Elle est aussi l’occasion de mieux organiser, sous l’impulsion de Bernard Forterre, le pôle Énergie de la CGE, et de mettre au point des modalités de contrats qui vont faire date, pour standardiser et structurer peu à peu le secteur : aux premiers P1, P2 et P3 (respectivement fourniture et gestion de l’énergie, entretien et maintenance du matériel, et garantie et renouvellement des équipements) fondant déjà l’activité créée par Léon Dewailly s’ajoute le P4 sur le financement des travaux de rénovation.

Tout au long des années 1980 et 1990, en dépit du contre-choc pétrolier5 qui va réduire l’attention politique portée à l’énergie et à son économie, le travail commencé va se poursuivre, jusqu’à créer Dalkia en 1998 et, avec elle, les premiers DESC – Dalkia Energy Savings Centers – qui, depuis le siège, permettent de piloter la performance énergétique des bâtiments et installations de ses clients. C’est une première formalisation de ce qui s’appellera ultérieurement Hubgrade, et aura vocation à devenir un élément de valeur essentiel de Veolia, pour l’amélioration de ses offres de service comme pour le pilotage de ses propres processus. Et c’est en Belgique et surtout à Dubaï que ce service va connaître une véritable accélération dans son développement.

© Rhiannon Elliott

Les économies d’énergie, une activité qui s’accélère à partir du Moyen-Orient

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est bien aux Émirats arabes unis que vont progresser les services Hubgrade. Paradoxal, car on n’imagine pas spontanément que ce soit dans les pays riches en pétrole, là où l’énergie est peu chère et abondante, que les offres pour l’économiser se développent le plus rapidement. Et pourtant, tous les Émirats ne se ressemblent pas... et Dubaï n’a pas de pétrole. C’est pourquoi, au début des années 2000, ses princes investissent les activités de service, avec l’ambition de faire de leur terre une cité phare, au cœur du rayonnement international des Émirats arabes unis.

Majid Al Futtaim, qui a créé et gère un empire dans les services, et qui a vu en quelques décennies un peuple de bédouins passer de la pêche aux huîtres à la recherche de perles à une nouvelle civilisation fondée sur le pétrole, se montre alors visionnaire, convaincu que l’engagement dans la durabilité sera un élément clé de l’acceptabilité internationale de son pays. Pour atteindre ses ambitions, il s’associe en 2002 à Dalkia dans une joint-venture, MAF-Dalkia, qui deviendra Enova.

« C’est bien parce que Veolia trouve localement un partenaire engagé et volontaire que l’expertise, qui pourra ensuite être répliquée dans d’autres géographies, peut être développée », souligne Anne Le Guennec, qui fut directrice générale d’Enova. « Avec MAF, on a trouvé un grand partenaire qui nous a confié tout son portefeuille et avec lequel on a avancé en coconstruction. Il nous a ouvert un terrain de jeu, et on l’a travaillé ensemble. » Ce terrain d'application est d’emblée considérable : centres commerciaux, parcs de loisirs, hôtellerie, lotissements... Puis, poussé par la volonté de la joint-venture de rentabiliser son activité, il passe de l’opération des seuls actifs de Majid Al Futtaim à une offre de services aux bâtiments pour le compte de tiers.

Aujourd’hui, les enjeux de réputation environnementale se sont matérialisés, et Enova mobilise son savoir-faire de réduction des coûts énergétiques dans les hôpitaux, aéroports, cinémas, hôtels ou encore centres commerciaux de huit pays : les Émirats, Oman, Bahreïn, le Qatar, l’Égypte, le Liban, l’Arabie saoudite et la Turquie. Et les projets ne manquent pas. « Au Moyen-Orient, la réduction de la consommation de froid des bâtiments, c’est l’essentiel des économies de nos clients », précise Renaud Capris, le PDG d’Enova, alors que les températures dépassent parfois 50°C dans cette partie du globe.

Suivent l’éclairage et un ensemble de mesures conduisant à la réduction des consommations d’électricité. Pour permettre à ses clients d’atteindre leurs objectifs financiers, opérationnels et environnementaux, Enova dispose d’un département technique d’une cinquantaine d’ingénieurs spécialisés en audit énergétique. « Nous passons plusieurs semaines sur le bâtiment afin d’analyser ses points faibles pour réaliser des préconisations techniques », explique Renaud Capris. L’idée : installer les bonnes solutions au bon endroit pour que la consommation du bâtiment soit la plus basse possible. Pour économiser l’énergie, le groupe propose des solutions de « rétrofitage » – c’est-à-dire de remise à niveau des équipements vieillissants –, d’optimisation de climatisation, de maintenance sur site à tous les niveaux de la chaîne grâce à ses ingénieurs spécialisés. « Nous sommes les seuls à assurer la maintenance des installations énergétiques en garantissant un pourcentage précis de gain d’économies », fait enfin remarquer Renaud Capris.

© Médiathèque Veolia - Gilles Vidal / MAD Production


Hubgrade est devenu un outil de smart monitoring qui permet d’optimiser les installations et de préserver les ressources aussi bien en énergie qu’en eau ou en matières premières. Renaud Capris détaille : « Dans un centre commercial, on va recueillir un certain nombre de données comme la consommation électrique, la température du lieu, la qualité de l’air, et toute information ayant un impact sur la consommation énergétique du bâtiment. Nos data analysts vont pouvoir ensuite réaliser un suivi en direct de cette consommation grâce à un algorithme extrêmement performant et savoir quelle action doit être menée. » Véritables centres de pilotage de la performance, les centres Hubgrade associent donc expertises humaine et numérique. « Lorsqu’une dérive est identifiée par un centre Hubgrade, ajoute Francisco Silvério Marques, nos opérateurs sur site interviennent immédiatement, par exemple pour remplacer un filtre, lubrifier des éléments mobiles ou vérifier l'étanchéité d’une vanne de régulation. Autant d'éléments peu visibles, mais à fort impact sur la consommation énergétique. »

Ce savoir-faire en matière d’économies d’énergie a aussi continué à se développer depuis Siram, en Italie, qui assure, au-delà de la fourniture en énergie, l’efficacité énergétique de nombreux hôpitaux et bâtiments publics, comme l’hôpital Monaldi à Naples ou encore le campus de l’université de Parme. Si le cœur du projet de rénovation énergétique du bâtiment consistait à construire une nouvelle centrale de trigénération et une centrale géothermique, destinées à alimenter en énergie verte 50 % des besoins de l’université, des technologies numériques ont également été employées pour contrôler et surveiller les flux énergétiques en temps réel. Une solution qui a permis de mettre en place des fonctions spécifiques de diagnostic prédictif ainsi que d’utiliser des algorithmes innovants capables de réduire la consommation d'énergie primaire de 20 %, l’objectif que Siram se fixe à chaque projet en Italie.

En 2020, s’inspirant de ces exemples, Veolia comptait 64 centres de pilotage Hubgrade dans plus de 22 pays. Si chacun possède des caractéristiques propres, ils convergent désormais vers un écosystème commun afin de bénéficier les uns et les autres des innovations les plus performantes pour économiser l’énergie. Une Hubgrade Academy a également été constituée, pour dispenser à travers le monde des formations à destination des analystes Hubgrade, couvrant l’ensemble des savoirs nécessaires à leur métier : les modèles contractuels, les rôles et responsabilités, la stratégie d’analyse de la performance énergétique chez Veolia, les moyens de communication à destination des différentes parties prenantes. L’intérêt de déployer ces services globaux dans les collectivités territoriales et dans les entreprises est devenu manifeste: la consommation énergétique des bâtiments représente 35 à 40 % des émissions globales de CO2 dans le monde et, rien qu’en Europe, la Commission européenne estime que trois bâtiments sur quatre sont inefficaces sur le plan énergétique.

Christophe Schuermans, directeur du développement de l’activité Services énergétiques des bâtiments chez Veolia précise que « l’analyse et l’audit énergétiques d’un bâtiment débouchent sur une grande quantité d’actions, comme adapter le fonctionnement des équipements selon l’occupation réelle : renouveler l’air dans une salle de réunion en fonction du nombre de personnes présentes, ralentir ou arrêter la vitesse des escalators en fonction de l’affluence, diminuer les températures dans les locaux en cas d’inoccupation, utiliser des détecteurs de présence pour activer l’éclairage, etc. Ces actions combinées au suivi opérationnel des analystes énergétiques de nos centres Hubgrade permettent de rapidement atteindre des économies significatives de plus de 10 % pour un investissement peu élevé ».

Hubgrade, le digital au service des économie d'énergie

Malgré le développement des énergies renouvelables, la lutte contre le dérèglement climatique ne pourra pas échapper à la sobriété énergétique. Alors pour apporter une réponse au défi écologique et économique du XXIe siècle, des outils digitaux sont développés et déployés par Veolia depuis plus de dix ans. Au service de l’optimisation des consommations d’énergie, mais aussi d’un meilleur pilotage des services d’eau et de déchets.

Et si l’avenir de l’économie d’énergie se cachait dans le tracking ? C’est en tout cas ce que laisse penser Hubgrade. Ce centre de gestion à distance allie intelligence artificielle et intelligence humaine pour optimiser la performance énergétique des bâtiments et infrastructures urbaines. Grâce à des objets connectés et à des technologies de pointe, les données des réseaux d’eau et des services énergétiques et de collecte des déchets sont envoyées en temps réel à la plateforme pour être analysées par des professionnels. En se reposant à la fois sur les agents de terrain équipés avec des outils digitaux, sur les équipes de data analysts à distance, et sur des ingénieurs de systèmes, le service proposé par Hubgrade se construit autour de trois piliers majeurs. Le premier, « connect », permet de créer un lien avec les clients en leur donnant accès aux informations en temps réel. Il va de pair avec le deuxième pilier, « support », qui les accompagne dans leurs problématiques opérationnelles pour, dans un dernier temps, avec « improve », les aider à optimiser le fonctionnement et l’efficacité environnementale des équipements et infrastructures.

De Bilbao à Dubaï, 64 centres de pilotage

De Bilbao en Espagne à Sydney en Australie, en passant par Dubaï et Shanghai, Veolia comptait en 2020 64 centres de pilotage Hubgrade dans le monde, dans plus de 22 pays. Grâce à eux, Veolia accompagne des centres commerciaux, des hôpitaux, des bâtiments scolaires et des immeubles de bureaux vers un futur moins énergivore, mais aussi moins aquavore et moins producteur de déchets. 

À Dubaï, Enova, la filiale de Veolia pour le Moyen-Orient, assiste le centre commercial Mall of the Emirates dans l’exploitation et la maintenance de son système de refroidissement et de chauffage depuis son ouverture en 2005. À Bilbao, le centre Hubgrade pilote 2 000 installations, 1 000 bâtiments, 60 sites industriels et 20 réseaux de froid et de chaleur. En France, c’est la gestion de l’eau et des déchets de la ville qui est surveillée et analysée dans le centre de Lille. Hubgrade conduit à une amélioration de la rentabilité puisque les activités sont mesurées et examinées en temps réel, permettant ainsi une action directe des équipes techniques en cas de problème. Sur le plan de la facture énergétique, Veolia permet à ses clients, grâce à ces centres d’« hypervision », une économie moyenne de 15 %. En 2020, cela représente 35 500 MWh de chaleur et de froid et 77 000 MWh d’électricité économisés.

Des efforts qui doivent s’accompagner de pédagogie pour le public et le personnel. Avec le service Awareness, Veolia propose une démarche de communication destinée à sensibiliser les utilisateurs des bâtiments à l’impact environnemental de leur comportement, comme ce fut le cas dans 74 écoles à Košice, en Slovaquie, où Veolia a installé 17 000 thermostats et remplacé les anciennes chaudières, tout en déployant une campagne de sensibilisation aux économies d’énergie parmi les élèves. Idem à Bruxelles, où les 1 700 collaborateurs de l’Office national des pensions (ONP) ont été sensibilisés à la sobriété énergétique via des conférences, des indicateurs de progrès sur smartphone, mais aussi des autocollants et des affiches décrivant les bonnes pratiques à adopter. Ce faisant, Veolia est devenue une entreprise de référence en matière de performance énergétique, associant à ses offres une démarche de performance opérationnelle de ses propres services: le plan ReSource, impulsé en 2022, vise à la fois à l’augmentation de sa production d’énergie, à la baisse de ses consommations, et à leur flexibilisation.

© Marcel Strauss

La flexibilité énergétique, un enjeu majeur des décennies à venir ?

Nombre d’observateurs estiment qu’aujourd’hui la question de la maîtrise de l’énergie, c’est-à-dire combien d’énergie nous consommons, est aussi importante que quand nous la consommons. Le sujet a pris une envergure nationale en France avec la mise en place du dispositif EcoWatt pendant l’hiver 2022-2023, sorte de « météo de l’électricité » qui visait à informer les utilisateurs en temps réel de la consommation sur le réseau électrique afin d’éviter des pics de consommation capables de mener à une panne du réseau. Lancé par le gestionnaire du réseau électrique français RTE, en partenariat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), EcoWatt est né de problèmes ponctuels liés à la concomitance de la hausse de la consommation énergétique en hiver et de la baisse de la production nucléaire française. Des conditions qui pourraient toutefois facilement se répéter dans les années à venir puisque les énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire, appelées à prendre une part croissante dans notre approvisionnement, ont la particularité de faire face à des variations de production importantes. Le parc nucléaire lui-même tend à devenir, même si c’est de façon marginale, intermittent, mais il est davantage pilotable.

En résumé, la volatilité du prix et de la disponibilité de l’électricité nécessite de repenser notre approche de la consommation d’énergie. Certains Français connaissent déjà bien le concept de flexibilité énergétique puisqu’ils sont environ 13 millions à bénéficier des tarifs heures creuses et donc à chauffer leur ballon durant la nuit pour n’utiliser l’eau que le lendemain matin. À l’échelle d’un bâtiment du tertiaire, cela revient à peu près à encourager des bonnes pratiques similaires, comme programmer la recharge des véhicules électriques à un moment de basse consommation, faire fonctionner les équipements en alternance, lancer le chauffage plus tôt le matin, etc. Des habitudes qu’il convient d’automatiser via des systèmes de smart grids, des réseaux d’électricité intelligents. C’est là qu’intervient par exemple la solution Hubgrade de Veolia, capable de bien analyser les usages du personnel, et donc d’anticiper les pics de consommation, mais aussi d’alerter sur les dysfonctionnements et de piloter les flux du bâtiment, chauffage, eau chaude, ventilation, climatisation... Sans oublier la production d’énergie, dans un contexte où beaucoup de bâtiments se dotent de cette capacité à travers les panneaux photovoltaïques ou la géothermie. Le bâtiment devient alors un acteur à part entière du réseau électrique.



Pour réaliser cette flexibilité, il faut non seulement parvenir à changer de paradigme énergétique dans les esprits mais également se faire accompagner par des experts dans le domaine, dont le savoir-faire oscille entre anticipation, certification et garantie de stabilité du réseau. C’est le cas de Flexcity, une startup franco-belge créée en 2012 sous le nom d’Actility qui sera acquise par Veolia en 2019. Pour Flexcity, la nouvelle donne énergétique doit pousser les groupes industriels ou tertiaires à penser non plus comme des consommateurs d’énergie mais comme des courtiers en énergie. « On aide les entreprises à s’épanouir dans un monde avec une volatilité forte de l’électricité, à consommer l’énergie et à produire au bon moment, à faire attention à l’équilibre global du réseau », explique ainsi Arnout Aertgeerts, Chief Executive Officer chez Flexcity. En faisant concorder la demande et la production, les entreprises comme Flexcity espèrent corriger les prix négatifs de l’énergie sur le marché de gros, qui sont le signal que la production non flexible est importante alors que la demande est basse. Dans ces cas-là, certains devront payer pour produire de l’énergie et, à l’inverse, d’autres seront payés pour consommer.

Dans le cadre de la flexibilité électrique, certains seront plutôt rémunérés pour « s’effacer », à savoir décaler leur consommation quand c’est nécessaire pour le réseau. Ainsi, Flexcity a accompagné l’entreprise sidérurgique Thy-Marcinelle dans sa démarche visant à économiser l’énergie et à réduire ses émissions de CO2. Cette entreprise industrielle peut en effet moduler la consommation globale de son site, c’est-à-dire la réduire ponctuellement, en diminuant principalement la consommation de son four à arc électrique et de son laminoir, de façon à soulager le réseau d’électricité belge. Ces « activations » occasionnelles de réduction de la consommation s’adaptent aux contraintes techniques du site grâce aux équipements de Flexcity qui valorisent ces modulations de puissance à partir d’une analyse rigoureuse de ses données. À travers son expertise, Flexcity détermine ainsi les volumes et les moments de disponibilité, ainsi que les conditions de son offre sur le marché. Thy-Marcinelle reçoit également une rémunération pour mettre à disposition une réduction de sa consommation électrique, tout en opérant un service en adéquation avec ses exigences d’amélioration de ses procédés.

Veolia elle-même participe à cet équilibre. « Nous avons réalisé cette démarche sur les sites que nous exploitons, témoigne Gad Pinto, directeur de l’activité Boucles locales d’énergie chez Veolia. En effet, s’agissant d’usines de traitement d’eau, nous pouvons leur demander de réduire leur consommation d’électricité ou de la décaler sans que cela change le processus de traitement. En effet, s’agissant d’usines de traitement d’eau, nous pouvons leur demander de réduire leur consommation d’électricité ou de la décaler sans que cela change le processus de traitement. Des offres dédiées au monde de l’eau ont été construites pour répondre aux besoins spécifiques de chaque type de site : production d’eau potable, stations de pompage, stations d’épuration, etc. » En installant un boîtier de contrôle, ou en développant des interfaces de communication avec les systèmes de télégestion existants, Flexcity est capable d’envoyer des signaux d’activation des capacités d’effacement, lors des épisodes de tensions signalés par RTE, par exemple. À réception de ce signal, les sites participants ont entre quelques minutes et plusieurs heures pour baisser leur consommation en stoppant ou ralentissant certains procédés de traitement pendant une à deux heures.

© Steve Johnson



Globalement, en 2022, Flexcity a permis de flexibiliser l’équivalent d’une tranche nucléaire en Europe. En théorie, les applications de cette flexibilité pourraient être déployées sur des domaines encore plus vastes grâce au stockage de l’électricité, qui reste cher à l’heure actuelle, mais pourrait bénéficier d’innovations dans les prochaines années. Ainsi l’ONG européenne Transport & Environment estime que le nombre de véhicules électriques en circulation en Europe sera de 13 à 14 millions en 2025 et de 33 à 44 millions en 2030. Et puisque la capacité de stockage de ces véhicules sera de plusieurs milliers de gigawatts, il n’y a qu’un pas à franchir pour imaginer que ces batteries pourraient stabiliser le réseau électrique en réinjectant de l’électricité dans le système lors des pics de consommation. Dans son rapport préparatoire « Comprendre et piloter l’électrification d’ici 2035», présenté en juin 2023, RTE prévoit une forte augmentation de la consommation électrique en France, qui atteindrait entre 580 et 640 térawatts-heures pour 2035, sous l’effet de la décarbonation de notre mix énergétique. « Ce rythme n’a plus été atteint depuis les années 1980, dit le gestionnaire du réseau, et met en évidence l’ampleur du défi auquel le système électrique français est confronté s’il veut répondre aux nouvelles ambitions et aux paramètres d’ensemble les plus récents. » 6

Pour répondre à cette croissance, RTE mise sur l’efficacité énergétique, la sobriété, les renouvelables et le nucléaire. Bien entendu, le rapport prédit également une plus grande variabilité de la production électrique, qui doit nécessairement entraîner des moyens de flexibilité. « Dans ce contexte, le rôle des solutions de stockage et des solutions de flexibilité de la demande sera de plus en plus crucial », poursuit le rapport.

Des analyses très proches de celles de l’Agence internationale de l’énergie, pour qui « les centrales devront être plus réactives, les consommateurs, plus connectés et flexibles, et les infrastructures de réseau devront être renforcées et mises à l’heure du numérique ». Des enjeux auxquels Veolia se prépare à contribuer de manière croissante.

Cette électrification massive de nos usages énergétiques doit cependant s’accompagner de son pendant, indispensable à la lutte contre le dérèglement climatique: la décarbonation de notre énergie. Un projet qui doit faire la part belle aux territoires, seuls capables de produire de façon résiliente de l’énergie locale renouvelable, à partir de la biomasse, de la géothermie, du solaire, de l’éolien, de la récupération de chaleur des déchets ou des eaux usées. Autant de solutions locales au problème global du réchauffement de notre planète.

  1. CRIQUI Patrick. « Les dynamiques mondiales de l’énergie », dans JEANDEL Catherine, MOSSERI Rémy (dir.), L’Énergie à découvert. Paris : CNRS Éditions, 2013. ↩︎
  2. Agence internationale de l’énergie (2022). « World Energy Outlook 2022 ». ↩︎
  3. BELTRAN Alain. « La politique énergétique de la France au XXe siècle : une construction historique. » Les Annales des Mines, août 1998. ↩︎
  4. Agence internationale de l’énergie (2022). « For the first time in decades, the number of people without access to electricity is set to increase in 2022 ». ↩︎
  5. Après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, le prix du pétrole brut connaît une forte baisse vers le milieu des années 1980, retrouvant même un niveau similaire à celui d’avant 1973. En 1985, l’expression « contre-choc pétrolier » est forgée pour désigner ce phénomène. ↩︎
  6. Réseau du transport d’électricité (2023). « Comprendre et piloter l’électrification d’ici 2035 ». ↩︎